Splendeur du Portugal
"Camões est au Portugal ce qu'Hugo est à la France ou Goethe à l’Allemagne. Un mythe, un géant. Et un géant qu’il faut relire, tant sa dimension d’auteur essentiel est encore plus visible aujourd’hui. Les Lusiades, c’est à la fois un formidable poème épique, une nouvelle Odyssée, un récit de la difficulté de la vie des marins du XVIe siècle, une défense de la foi chrétienne contre "le Turc", et une mythologie mêlant dieux antiques et figures chrétiennes. Un bonheur de lecture, qui laisserait presque sans voix tant il y a de richesses dans ces dix chants.
Camões était un petit escroc et marin malchanceux, mais aussi un grand poète s’estimant trop mal reconnu à son époque (quelques passages attaquent le pouvoir qui ignore son talent et ne le rémunère pas assez). Et, prenant pour prétexte le voyage vers l’Inde de Vasco de Gama, protégé par Vénus et évitant les pièges tendus par Bacchus ainsi que la félonie des Maures, il nous récite avec invention et génie un poème de toute beauté, évitant les écueils de la préciosité, (alors en vogue en France, par exemple). Le poème est en grande partie une reconstruction mythologique du Portugal et de son Empire. Camões, le poète borgne chante le Portugal et les portugais, mais il les tance aussi de trop se reposer sur les lauriers durement conquis auparavant. Et Camões, né autour de 1524 à l’époque de la gloire de l’empire, meurt en 1579, un an avant l’invasion du Portugal par l’Espagne, et la décadence du premier empire colonial, celui de ces Lusitaniens qui, les premiers, osèrent dépasser les bornes occidentales du monde et en découvrir un nouveau, insoupçonné des modèles gréco-latins. Le poète, qui a la conscience de vivre les dernières heures d’une époque glorieuse, est habité par l’idée de grandeur, et surtout d’une sorte de nostalgie de ce Portugal conquérant, peut-être ce qu’on appelle la saudade. Les humanistes avaient pris les Anciens pour modèles. Pour Camões, en découvrant un monde ignoré de leurs maîtres, les élèves les dépassent…
Véritablement, les Lusiades, de lecture relativement aisée, sont un pur chef-d’œuvre, à lire et relire."