François-René de Chateaubriand est né en 1768 à Saint-Malo, et a passé son enfance dans cette Bretagne sombre et mystérieuse, ce pays où la mer pénètre la campagne et les bois qui abritèrent les jeux de son enfance mélancolique et rêveuse. Rêveur, il le restera toute sa vie, nostalgique éternel, en exil de son enfance bretonne. La première partie de ces mémoires d’outre-tombe, admirables en tous points, depuis le génie du titre jusqu’à la grâce du style et des thèmes brassés dans cette entreprise géante, à la mesure d’une vie exceptionnelle, et à l’image de cette existence, cathédrale démesurée et baroque, cohérente en tous points comme par miracle, et pourtant chargée de digressions, d’apartés et de soliloques. Une merveille où se perd le lecteur du petit lecteur impressionné.
Ces douze premiers livres passent donc en revue la jeunesse de Chateaubriand, de sa naissance à début du XIXème siècle. On voit donc défiler les bois de Combourg, les remparts de St-Malo, les premiers feux de la Révolution, attirante par ses idéaux, répugnante par ses méthodes, qu’il finit par fuir pour découvrir un peu l’Amérique encore presque vierge, celle des bons sauvages rousseauistes, des puritains acharnés à bâtir une nation sur du néant, du souvenir de la déroute subie lors de la Guerre de Sept Ans, des aventuriers et trappeurs, des Franklin, Jefferson et Washington, attelés à construire la démocratie. Puis, il revient rapidement en France, pour rejoindre cette « armée des Princes », parée des oripeaux passés de sa gloire passée, pleine d’honneur et de grotesque, cette armée qui fut le chant funèbre d’un monde ancien qui meurt sous les coups d’un nouveau, plus moderne. Tout au panache et en fierté de sa vieille famille, et par fidélité à ses origines, il combat sans y croire vraiment dans ces régiments curieux d’un ordre moribond.
Puis, c’est l’exil en Angleterre, les difficultés et humiliations, sur lesquelles il passe rapidement, la nostalgie de la France. Après quelques propos sur les Lettres anglaises, le livre XII se clôt sur un retour vers la France, au tournant d’un siècle gorgé de promesse pour celui qui n’est encore que le jeune François-René, et qui s’apprête à se métamorphoser en l’immense Chateaubriand.
Ouvrage gigantesque, livre-vie, les Mémoires d’Outre-Tombe sont tout à la fois un hymne à un monde et un mode de vie qui périssent dans le rythme de l’Histoire, un chant à la Nature, une justification politique, et la leçon d’écriture romantique d’une vieille gloire littéraire aux jeunes qui le poussaient déjà vers le sépulcre.
Quand on a démarré une telle lecture, s’arrêter n’est pas difficile, c’est tout simplement devenu impossible. On en redemande, et une fois le livre fermé, on se précipite pour acheter les livres suivants (42 en tout).