- lapin74 a écrit:
- On pourrait avoir quelques vers ?
Ah toi, dès qu'il s'agit de boire!!! Quoi, j'ai mal compris?
Allez, pour toi ;-)
« Peu avant la prochaine rue déserte
deux mendiants, dont l’un n’a plus de jambes –
et que l’autre porte de-ci de-là sur le dos.
Ils s’arrêtent – comme sur une route à minuit un animal
ébloui fixe les phares d’une voiture –
un instant puis continuent leur chemin
aussi vite que les écoliers d’une cour de récréation
et traversent la rue pendant qu’une myriade
d’horloges torrides tictaque dans l’espace de midi. »
Secrets en chemin, p.63
« A deux heures du matin : clair de lune. Le train s’est arrêté
au milieu de la plaine. Au loin, les points de lumière d’une ville
qui scintillent froidement aux confins du regard.
C’est comme quand un homme va si loin dans le rêve
qu’il n’arrive à se souvenir qu’il y a demeuré
lorsqu’il retourne dans sa chambre.
Et comme quand quelqu’un va si loin dans la maladie
que l’essence des jours se mue en étincelles, essaim
insignifiant et froid aux confins du regard.
Le train est parfaitement immobile.
Deux heures : un clair de lune intense. Et de rares étoiles. »
Tomas Tranströmer, Secrets en chemin, in Baltiques, oeuvres complètes 1954-2004, Poésie/Gallimard, p.65
« A la grande entrée de la ville
quand le soleil est bas.
La circulation se traîne, épaissi.
Tel un dragon paresseux, étincelant.
Je suis une des écailles du dragon.
Soudain, le soleil incandescent
est au milieu du pare-brise
et me submerge.
Je suis translucide
et une écriture inscrit
en moi
des mots tracés à l’encre sympathique
qui surgissent
lorsqu’on tient le papier au-dessus de la flamme !
Je sais qu’il me faut partir très loin
traverser la ville et aller plus
loin encore, jusqu’à ce que vienne l’heure de sortir
et de marcher longuement en forêt.
De suivre les traces du blaireau.
L’obscurité se fait, difficile d’y voir.
Mais là, sur la mousse, il y a des pierres.
L’une d’elles est précieuse.
Elle peut tout convertir :
elle sait faire briller l’obscurité.
C’est un commutateur pour le pays entier.
Tout y est raccordé.
La regarder, l’effleurer... »
Sentiers, pp.175-176
« Les rochers. Là-bas, sur les lichens que chauffe le soleil, courent les bestioles, elles sont aussi pressées que l’aiguille des secondes – le sapin jette une ombre, elle avance doucement comme l’aiguille des heures – en moi le temps s’est arrêté, un temps sans fin, le temps qu’il faut pour oublier toutes les langues et inventer le mouvement perpétuel.
A l’abri du vent, on peut entendre l’herbe pousser – un léger roulement de tambour par le bas, le faible grondement de millions de flammèches, c’est ainsi qu’on entend l’herbe pousser. »
Baltiques, p.199
« Quelque chose qui ne peut être dit,
aphasie
il n’y a pas de mots, mais peut-être un style… »
Baltiques, p.200
« Parfois il existe un abîme entre le mardi et le mercredi, mais vingt-six ans peuvent défiler en un instant. »
La place sauvage, p.248
« Par une nuit de soleil éclatant. Je suis dans la forêt touffue et regarde ma maison aux murs couleurs de brume. C’est comme si j’étais mort récemment et que je la regardais sous un angle nouveau.
Elle est là depuis plus de quatre-vingts étés déjà. Son bois est imprégné de quatre couches de joie et trois couches de douleur. Quand celui qui l’a habité meurt, on repeint la maison. Le mort la peint lui-même, sans pinceau, du dedans. »
La place sauvage, p.252
« Durant ces mois obscurs, ma vie n’a scintillé que lorsque je faisais l’amour avec toi. »
La place sauvage, p.257
« Nous semblons presque heureux au soleil, alors que nous saignons de ces blessures dont nous ignorons tout. »
Pour les vivants et les morts, p.280
« Au milieu de l’immense église romane, les touristes se pressaient dans la pénombre.
Une voûte s’ouvrait sur une voûte, et aucune vue d’ensemble.
La flamme de quelques cierges tremblotait çà et là.
Un ange sans visage m’enlaça
et me murmura par tout le corps :
« N’aie pas honte d’être homme, sois-en fier !
Car en toi, une voûte s’ouvre sur une voûte, jusqu’à l’infini.
Jamais tu ne seras parfait, et c’est très bien ainsi. »
Pour les vivants et les morts, p.288
«Les lignes à haute tension
s’étirent au royaume du froid
au nord de toute musique.
*
Le soleil blanc
s’entraîne seul face
aux monts bleus de la mort.
*
Le feuillage a murmuré
qu’un sanglier jouait de l’orgue.
Et les cloches ont tinté. »
Funeste gondole, pp. 320-324
« Ombres rampantes…
nous sommes perdus dans la forêt
dans le clan des morilles. »
La grande énigme, p.348