Cioran, De l’inconvénient d’être né,Folio essais
"Une leçon de ténèbres
Cioran n’est pas un optimiste fanatique. C’est même sans doute le plus désespéré (ou plutôt le plus sans espoir) de nos philosophes. C’était un homme secret, qui vomissait la publicité littéraire et l’image de lui-même, et il avait plus ou moins adopté le fascisme dans sa jeunesse. Une fois qu’on a dit cela, on a tout dit et rien dit du personnage, et encore moins de sa philosophie.
Pas de dialectique chez lui, pas de grandes phrases, de thèse à démontrer brillament. Non. Juste des aphorismes, de très courts morceaux, pensées et bouts d’idées.
La principale ligne directrice ici : la plus grande de nos catastrophes est de naître, le seul bonheur est dans le temps où nous n’étions pas. Tout ce qui suit après n’est rien de bien passionnant, et tout ou presque est illusions. Néanmoins, Cioran le désespéré est avant tout un lucide. Il reconnaît, il ressent l’inanité de nos passions humaines, mais admet pourtant s’y abandonner volontiers. Il n’a pas l’ambition d’être un professeur. Il excuse tout et n’excuse rien.
Mais le tout est si noir, si atrocement sombre, que si Cioran n’est pas difficile à comprendre, il est difficile à « admettre ». Et pourtant, l’on sait qu’il a raison, mais cela ne nous empêche pas de vivre nos vies et de ressentir les atteintes, les joies, les passions en somme, avec la même force. Car c’est cela la nature de l’humain, sans doute."